Oui ! J’ai fait un rêve, et pour paraphraser Martin Luther King…
J’ai fait un rêve où tous les hommes avaient… Une voiture électrique !
Petit coup de teasing à la mode, mais c’est une chose vraie que je vais vous conter. Lorsque je me suis réveillé au petit matin, j’ai immédiatement pris des notes pour éviter d’en oublier les détails.
Les rêves sont parfois extraordinaires de réalisme avec, pour autant des objets, des espaces qui ne respectent pas les règles du réel. J’ai également été surpris, je me suis souvenu des chiffres avec exactitude.
Par une belle journée d’été, je me trouvais au volant de mon véhicule. Ayant quitté la capitale du pays bigouden, je me dirigeais vers la capitale Béarnaise. Petit trajet d’environ huit cents kilomètres.
Je me souviens du silence, ou plus exactement du seul bruit des roues sur l’asphalte. Je me cantonnais, bien évidemment, à rouler à la vitesse autorisée, soit cent kilomètres heure sur autoroute, et quatre-vingt par temps de pluie, selon la nouvelle loi en vigueur. Mais aujourd’hui le ciel était parfaitement bleu, donc l’aiguille du compteur taquinait les cent kilomètres à l’heure. Ceci dit, tout le monde ne respectait pas, et je me faisais régulièrement doublé, ce dont je me fichais éperdument, mon égo d’homme blanc hétéro sexuel ne se sentant pas agressé.
J’étais assez fier de ma voiture. On dit que la voiture est un des symboles de la virilité… Je n’ai pas d’avis sur la question, ce que je sais c’est qu’elle me plaisait et que j’avais plaisir à la conduire. Le rêve ne m’a pas laissé en mémoire, la marque et pas plus le modèle du véhicule, alors, nous allons dire que c’est une e-X. Ma e-X avait l’intérieur blanc et semblait vaste. C’était à coup sûr un SUV, j’ai toujours aimé cette sensation d’être un peu en hauteur. Elle m’avait été vendue pour une autonomie réelle de six-cent-cinquante kilomètres. ! Certes la facture d’achat avait été salée, mais étant gros rouleur, comme ils disent avec plus de trente mille kilomètres avalés par an, c’est le minimum d’autonomie qu’il nous fallait.
Je venais de contourner la ville de Niort, et j’avait rejoint l’autoroute Paris-Bordeaux dont le flux de véhicules était très important, m’imposant même de réduire ma vitesse.
Je regardais le compteur de charge, il annonçait rester près de deux cents-cinquante kilomètres, j’avais mis du Bach dont le silence de la roule me permettait d’en apprécier pleinement la musique.
Rapidement je me mis à guetter une station en vue du rechargement.
C’est la station de Saint Claude qui se présenta, le compteur annonçant cette fois quatre-vingt-douze kilomètres, encore possibles. La station ressemblait à toutes les autres. Une cinquantaine de bornes alignées en demi-cercle avec un grand bâtiment hébergeant restaurants, cafés et boutiques, le tout surplombé par un grand parc éolien. La station ne desservait uniquement que de l’électricité.
Je me positionnais en cinquième position d’une borne. Un véhicule en charge et trois devant moi. A coup d’une demi-heure de charge pour un gain supplémentaire de cent-cinquante kilomètres, je faisais un petit calcul simple, quatre voitures et une en charge, soit un peu plus de deux heures trente avant que je ne puisse repartir… heureusement que le temps de charge, dans ce type de station était limité à rente minutes. Cette perspective de temps perdu était désarmante. Mais je ressenti une brève joie, lorsque la voiture en charge devant nous, quitta la borne. J’avançais royalement de cinq ou six mètres pour reprendre mon attente. Toutes les bornes étaient en fonctionnement avec, elles aussi quatre, cinq et même six véhicules dans la file d’attente. Nous étions au bas mot entre deux cent cinquante et trois cents véhicules.
Ce phénomène se répétait sur toutes les stations électriques, les bouchons ne se formaient désormais plus aux péages mais aux stations-services. Bien évidemment il y avait toujours des stations classiques pour les hybrides rechargeables où l’on trouvait essentiellement de l’essence. Le diesel étant quasiment totalement banni. Même pour les poids lourds et autobus, désormais au GNL ou à l’hydrogène.
Les écologistes se léchaient les babines, ils avaient gagné en partie une bataille. Une partie seulement, c’était très clair dans mon rêve. Ils avaient pu imposer, contre tout bon sens, les véhicules électriques mais ouvraient aujourd’hui un autre combat, celui des batteries dont on ne savait pas vraiment ce que seraient leurs fins de vie. Sans compter les ressources naturelles qui s’épuisaient à grande vitesse. Comme quoi, quand on n’est pas visionnaire on ferait mieux de fermer sa gueule. Parce que de fausse bonne idées, ça finit par nous faire crever.
J’étais là, toujours au volant à ronger mon frein, c’est le cas de le dire. Bercé par la musique, un peu engourdi, le visage offert au soleil qui inondait mon pare-brise. Rameau avait succédé à Bach…
Je suis tout à coup sorti de ma léthargie par des coups de klaxons et des voix dont le ton montait. Comme la plupart des gens présents, je cherchais des yeux la source de ces cris. Deux files à ma droite, deux hommes en étaient venus aux mains, avec leurs épouses qui elles aussi se lançaient des noms d’oiseaux à la tête avec une gestuelle tout à fait expressive, usant d’ailleurs beaucoup du majeur de la main. Cela donnait de l’animation et aurait été de l’ordre de l’amusant si l’un des deux hommes n’avait pas pris le dessus et frappait l’autre au sol à coups de pied. Cet excès de violence incita quelques automobilistes, jusque-là spectateurs, à séparer les deux hommes. S’ensuivit, des explications et au bout d’un moment, celui qui était en charge, débrancha sa voiture et s’en alla, laissant l’homme le plus violent prendre sa place. Fin de l’incident, fin de cet incident.
Je ne me rassis pas tout de suite au volant, je restais debout, les coudes appuyés sur le toit de la voiture à contempler mes contemporains. On sentait la tension dans l’air, la chaleur exacerbait les conducteurs qui n’avaient d’autre choix que d’attendre. Tout le monde était excité. À ma gauche, derrière moi, j’entendais un couple lancé dans une joute verbale dont le résultat, à n’en pas douter, serait prononcé en faveur de la dame avec l’homme qui devrait se contenter du canapé pour la nuit.
Un peu plus loin, une mère sortait pour gronder ses deux enfants qui n’en pouvaient plus, remontrances, pleurs d’un des gamins, engueulade avec le mari resté au volant. Super départ en vacances. Le progrès technique était la source bienheureuse de la sérénité familiale. Et ce schéma se reproduisait tout au long des files d’attente.
Je fis encore cinq ou six mètres.
Je décidais, cette fois, de profiter du temps de charge du véhicule à la borne pour aller faire un tour aux boutiques. Je me donnais top chrono vingt-cinq minutes à tout casser pour revenir avancer la voiture. Il n’était pas question de lambiner au cas où celui derrière moi serait tenté de distribuer, lui aussi une volée de coups de poings. D’ailleurs, lorsque je fermais ma voiture avec la télécommande, je surpris son regard noir qui me suivait, ça disait quelque chose dans le genre, “t’as pas intérêt à trainer…”.
Le centre commercial, parce que c’en était un, était bondé, des enfants couraient de partout, au grand damne de leurs parents, du bruit, les personnes s’interpellaient, les gamins criaient. Je me promettais de ne pas m’éterniser et me mis en quête d’un endroit où je pourrais acheter un sandwich. J’en aperçu de biens sympathiques dans une vitrine et constatais qu’une bonne dizaine de personnes faisaient également la queue. Faire la queue était visiblement devenu un sport national.
Comme cela vous est sûrement déjà arrivé, il y a toujours devant vous des indécis, partagés entre ceci ou cela qui n’ont bien évidemment pas pensé à leur choix avant et qui se posent en casse bonbons. Et bien j’en ai eu deux dans ce genre, un autre, lui était différent, j’ai bien cru qu’il allait acheter la boutique… Je regardais nerveusement ma montre à gousset. Cela faisait un quart d’heure que j’avais quitté ma voiture. Encore quatre personnes devant moi. Je piétinais, je n’allais tout de même pas être obligé de retourner à ma voiture sans mon sandwich ! Heureusement pour moi, les quatre personnes furent assez rapides et une fois mon sandwich au poulet roquette feta, mon crumble aux pommes et une bouteille d’eau fraîche en main, j’accélérais le pas.
Bien m’en pris, j’arrivais juste à temps pour démarrer et gagner à nouveau six mètres. Dans le rétroviseur je voyais le regard noir de mon suiveur qui me fixait, j’avais eu chaud, d’ailleurs dans tous les sens du terme. Ma chemise s’ornait désormais d’’auréoles de transpiration. J’ouvrais les vitres pour donner un peu d’air à l’habitacle, il était hors de question de mettre la clim en marche à l’arrêt.
Je me posais un peu avant de manger mon sandwich. Quelle galère quand même. En plus j’étais piégé. Je ne pouvais plus extraire mon véhicule de la file, tout était coincé. Cela commençait à m’oppresser, j’aimais bien être maître de mes mouvements, mais là… Je n’avais qu’à continuer, je n’avais de toute manière, pas le choix, pas le choix, pas le ch… ‘‘Station électrique mon cul oui !” Je fus surpris d’avoir dit ça à haute voix. Cela ne me ressemblait pas.
Cinquante bornes de rechargement, c’est bien, mais il aurait fallu en aligner plus du double… Et puis je me suis dit que non, bien sûr. C’est blindé parce que c’est l’été et les vacances, en temps normal, ça devait être plus fluide et avec moins de tension. Et puis la station, avec les boutiques, devait faire un beurre colossal, au final, ça valait le coup que les gens attendent.
Toutes mes rancœurs accumulées contre le système revinrent en bloc, je faisais face à mes mauvais choix.
Le crétin là-dedans c’était moi, personne ne m’avait forcé à acheter cette voiture, c’était moi l’andouille qui allait devoir attendre encore presque une heure avant de pouvoir quitter cette station. Une pensée m’a néanmoins fait sourire. En regardant autour de moi, en tant que crétin, je me sentais moins seul.
L’électricité nous avait été vendue comme le parfait outil du bon citoyen. Quel couillon j’ai fait de suivre ce mouvement. Une fois de plus je me suis fait berner, emporté par une bonne conscience à participer à sauver la planète. On nous a trompés, une fois de plus, on nous a menti. Tout ça n’est juste qu’une affaire de lobbying. C’est à ce moment que tout m’est remonté. Bien sûr que la facture de la voiture avait été salée. Des technocrates de Bercy, qui doivent habiter le septième ou le seizième arrondissement, avaient eu une idée, encore une. La taxation au poids. Quelle belle idée ! Bien évidemment tous ces véhicules électriques ne produisaient plus de CO², pertes sèches financières, alors le poids des véhicules avait été comme une révélation. Les batteries, ça pèse, plus vous voulez avoir de l’autonomie, plus vous avez de batteries, donc vous avez du poids, et plus vous payez chère cette taxe. Je pris conscience que mes doigts tapotaient le volant, signe de mon malaise. J’étais énervé, remonté comme un coucou. Je regrettais amèrement mon SUV au diesel…
J’aurais donc perdu presque trois heures pour gagner un peu plus de cent-cinquante kilomètres d’autonomie… Ce qui fait qu’un peu plus d’une heure après avoir repris la route, il me faudra encore perdre peut-être trois heures pour de nouveau cette misérable autonomie… Je n’étais pas encore arrivé.
Je bouillais sur place, la tension m’avait également gagné, j’avais, moi aussi, envie de crier à cette connerie de voiture électrique qu’on nous a fait gober alors que rien dans cette histoire n’était bien ficelé, ni les autonomies, ni les moyens de rechargement.
Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, je me suis réveillé… énervé, la continuité de mon rêve. J’ai mis un peu de temps à réaliser que tout cela n’était pas réel, un simple cauchemar. J’ai attrapé un bloc de papier et j’ai noté tout ce qui me revenait en tête. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’avais toujours mon SUV qui roulait au diesel. J’en ai ri et cela m’a détendu.
Il n’est pas anormal pour moi d’avoir fait ce rêve. Mon SUV bien aimé frise désormais les cent-quatre-vingt-dix mille kilomètres de bons et loyaux services et nous envisageons de le changer.
Nous avons couru les concessionnaires et essayé tout un tas de modèles écologiques avec des technologies parfois très différentes.
Nous avons fait notre choix. Le moment ne nous semble pas encore être venu de jouer avec l’électrique, full, hybride ou rechargeable qui est sans doute parfait selon les besoins de chacun.
Le scénario du rêve avec la pagaille sur les stations électriques lors des chassés croisés des vacanciers, je vous le prédis, cela arrivera.
Nous, gros rouleurs comme nous sommes, notre choix s’est à nouveau porté sur un véhicule diesel.
Alors on nous a dit “Vous savez, bientôt les accès à Paris, notamment, ne seront plus possibles que pour les véhicules de catégorie CRITAIR 1, vous ne pourrez plus accéder à la capitale, idem pour les autres grandes villes qui finiront par suivre le mouvement” Que voulez-vous ? Quand on a une Maire de Paris qui n’est qu’une nullité, il ne faut pas s’attendre à autre chose. Tant pis nous n’irons pas à Paris en voiture, nous nous garerons en banlieue et prendrons un des très nombreux moyens pour rejoindre la Capitale. Ce n’est tout de même pas Mme Foldingo* qui va dicter notre vie.
Ceci dit, comment peut-on défendre à tout prix l’électrique à Paris, imaginez les derniers résidents parisiens, il y en a encore. Imaginez les, tous avec un véhicule électrique dans la rue. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un garage où une prise pourrait éventuellement être installée… Ce sera quoi la solution ? Vous voyez d’ici toutes les rallonges électriques passant par les fenêtres et balcons pour aller jusqu’au bitume recharger les batteries, c’est ubuesque, je vous l’accorde, mais les prises libre-service, il n’y en aura certainement pas assez, et puis j’adore cette image des rallonges électriques et nourrices partout.
On se prépare quand même un avenir cocasse…
Non électriquement vôtre !
*Au cours de mes écrits, je crois que le fait que je n’apprécie pas du tout cette dame, ça va finir par se voir…